• (The Cure / The hungry ghost)


    A Châtelet, cette scène au milieu de la foule. Le train est ultra bondé, on est dans le noyau de la civilisation occidentale, à l'heure de la plus grande sueur, quand l'humanité est fébrile comme un enfant sale qui s'agite comme il quitte la classe avant de retrouver un goûter sucré. Un type, la trentaine, grand manteau noir, barbe inquiétante sans que l'on puisse vraiment dire pourquoi, bouscule une jeune fille. Le ton monte et en grimpant les grands escalators il lui fait un bras d'honneur et dit très fort comme s'il s'apprêtait à exécuter l'action que sa phrase annonce : « Je t'encule salope ». Un homme à côté de lui, la cinquantaine aux lunettes studieuses, le prend à partie. Il juge à raison que l'insulte est tout de même violente et que ce n'est pas trop la classe monsieur. Ils se sautent dessus en plein milieu de la montée de l'escalator qui tremble de toutes parts. Ils se frappent violemment en bousculant les gens qui tentent de s'enfuir (mais c'est difficile, après avoir été compressés dans le wagon, ils sont tout aussi serrés en ligne durant la montée qui, du coup, apparaît des plus lentes). En arrivant à l'étage les deux combattants se ruent par terre, les lunettes de celui qui, pourquoi n'y avait on pas pensé plus tôt, est certainement un professeur se vengeant par cette attitude  offensive d'une violence trop contenue à l'école, volent dans l'air de la lumière électrique blafarde. Les figures sont rouges, on est dans du coup de poing, de la cabriole, de la giflette. Des CRS sont postés de l'autre côté des guichets et ne peuvent atteindre la scène. Ils se mettent à crier simplement « Ho là hein !!!! Hooo Hé ! ». Un d'entre eux essaie d'enjamber les guichets et se casse la figure, ce qui ne manquerait pas de faire rire l'assistance dans un autre contexte. Je commence à penser qu'ils vont décéder et que la fille insultée, partie depuis deux bonnes minutes dans un train qui la ramènera dans son logis, ne saura jamais au grand jamais qu'une rixe a eu lieu pour elle.

    Projection du nouveau James Bond, tous les journalistes sont fouillés comme dans un aéroport, les téléphones portables sont confisqués gardez bien votre numéro ne le perdez pas hein. Le film est sombre comme l'année qui s'achève. Plusieurs scènes montrent une caractéristique d'effritement, il y a des précipices qui s'approchent, les balcons s'effondrent comme si leur béton était pourri. Si on a le droit de prendre cela comme une métaphore, on ne se gêne pas.

    Beaucoup de cocaïne, je vais plus mal que ce que je ne m'avoue. Georges Bataille est lu par mes yeux et mon cerveau dans une tension difficilement nommable.

    La souveraineté est silencieuse ou déchue.

    La sainteté qui vient aspire au mal.

    Qui parle de justice est lui-même justice, propose un justicier, un père, un guide.
    Je ne propose pas la justice.
    J'apporte l'amitié complice.
    Un sentiment de fête, de licence, de plaisir puéril --- endiablé.


    votre commentaire

  • (Electrelane / cut and run)



    Un peu de sérieux, cela devient sérieux. Il ne faut bien sûr pas trop regarder les chiffres de fréquentations de ce blog mais force est de constater que c'est le petit succès. Alors on s'attend à ce que le narrateur raconte son malheur. Et il le pourrait ! Mais enfin on a déjà entendu et lu cela n'est-ce pas ? L'amour malheureux est une bête de foire, il est aussi un animal de compagnie. Tout cela est surfait, milliardisé au possible, chaque être humain a son lot de déceptions et l'étalage est insupportable. Regardez les gens parler d'amour, c'est confondant, l'indigence intellectuelle s'étale comme une petite cuillère de sirop contre la toux sur un sol sale de cuisine dans une petite ville de province.
    Bien sûr il y a des exceptions mais quand on aime quelqu'un il faudrait être silencieux au possible. Vous aurez compris que cela n'a pas été mon cas avec A.

    Pour bien des raisons je me remets à lire Bataille. Il commence à écrire « Le coupable » le 5 septembre 1939.
    « Je commence en raison des événements mais ce n'est pas pour en parler. J'écris ces notes incapable d'autre chose. Il me faut me laisser aller, désormais, à ces mouvements de liberté, de caprice. Soudain, le moment est venu pour moi de parler sans détour. »

    Quelques lignes plus bas, il cite sa lecture du moment, Angèle de Foligno « Livre des visions ».  Le Saint Esprit (rien de moins que le Saint Esprit) parle à la Sainte :
    « Je vais te parler pendant toute la route ; ma parole sera ininterrompue et je te défie d'en écouter une autre, car je t'ai liée et je ne te lâcherais pas que tu ne sois revenue ici une seconde fois et je ne te lâcherais alors que relativement à cette joie d'aujourd'hui ; mais quant au reste, jamais, jamais, si tu m'aimes. »

    Avant de noter cette phrase, Bataille prévient : « Je recopie, ne sachant dire à quel point j'ai brûlé : le voile ici se déchire, je sors de la brume où se dévoile mon impuissance. »

    votre commentaire
  • (Vivian girls / Damaged)


    Il y aura toujours des filles bien habillées à Brooklyn qui décideront de faire des chansons. L'album des Vivian Girls est éponyme.

    Assisté à une scène de la vie intime d'un groupe d'amis, les contours de leur prochain album se dessinent de loin. Encore une fois, c'est une guerre qui est menée, il faut former une troupe, il y a des objectifs stratégiques à atteindre. Et quand la musique est le cœur de l'affaire, c'est le cœur du cœur qui est en question. Voilà comment il faut mener sa vie : la bataille est toujours proche et il faut être prêt. Et être bien entouré. Pour moi je sais que je crée en quelque sorte les bases d'une armée secrète dont le goût serait l'étendard. Oh je vous vois venir, prétextant déjà l'incongruité de la démarche, que de reste vous ne trouvez en aucun cas moderne. Cela pestifère d'ores et déjà contre l'initiative guerrière métaphorique.
    Mais à vrai dire le déroulement du conflit est déterminé par avance et mon armée est invisible elle est imprévisible. Les yeux les plus attentifs et aux mouvements les plus aiguisés reconnaîtront mes partenaires.
    Ceux qui vous quittent sans raison, vous étiez amis et puis voilà ca file ca s'évapore.
    Ceux qui occupent des emplois subalternes par choix. Ils ont compris qu'il fallait donner le moins possible au système, c'est merveilleux et ingénieux. Pas de PLACE à convoiter, pas de pouvoir, le moins de responsabilités possibles parce qu'une responsabilité supérieure est en jeu.
    Les lecteurs fous, ils lisent des livres insensés.
    Les libertins, libres dans le temps.
    Les amoureux et les amants, plus subversifs qu'une révolution sanglante.

    Tension ininterrompue depuis quelques jours, il faut croire que je vais devenir discret sur certaines évocations. Et les lecteurs à l'affût de la tristesse du narrateur (la majorité des 500 personnes qui posent leur regard sur ces pages chaque jour) se frottent les mains et restent ébahis : ils tiennent presque le malheur dans celles-ci. Ils se plaisent à imaginer (et le pire c'est qu'ils ont toutes les raisons pour cela) les problèmes sentimentaux, les abus de drogue.


    votre commentaire
  • (Spiritualized / Sweet talk)


    Jason Pierce est le leader du groupe Spiritualized dont le nouvel album « Songs in A and E » vient de sortir. Le NME publie cette excellente rubrique / ITW intitulée « Ce que le rock m'a appris ». On peut y lire ses remarques :

    -Tout concert est aussi important que le suivant. Aucun intérêt à jouer devant 40 000 personnes si les gens s'en tapent.
    -Dépensez votre argent. Pour l'album (béni des dieux) Ladies and gentlemen we are floating in space, j'ai obtenu du label que la pochette du disque, qui copie l'intitulé d'une boîte de médicaments, soit fabriquée dans une usine pharmaceutique par des types portant des casques dans des pièces stérilisées.
    -Avoir une expérience de mort proche ne change pas autant la vie que l'on pourrait croire (Jason a eu une double pneumonie en 2005 et a failli y rester). Les gens pensent que vous allez revenir avec un message, une idée de la vie, genre lumière blanche. Pas du tout, vous recouvrez votre santé un point c'est tout.
    -Faites les clips les plus poussés. Je me suis suspendu au bout d'un hélicoptère pour le clip « Do it all over again », c'était absolument terrifiant. J'ai du signer un contrat avant le tournage pour signifier que le pilote avait le droit de me laisser tomber dans le vide si il y avait un problème. Pendant le tournage j'entendais ma chanson dans ma tête. Ce n'était qu'une boucle mais la musique change tout dans un moment comme celui là. J'ai ensuite tourné une vidéo sur le mont Etna quand il était en éruption.
    -Ne laissez jamais les gens vous dire que les musiciens sont stupides. Le rock est primitif mais cela ne veut pas dire qu'il est idiot.
    -Etre en tournée est la meilleure chose du monde. Quand vous regardez par la vitre du bus au milieu des Etats Unis, c'est le meilleur sentiment qui soit.
    -Ne vous entêtez pas à raconter votre vie privée au monde car il s'en fiche. La musique restera dans les mémoires plus longtemps que toute autre chose.


    votre commentaire
  • (Eight Wonder / When the phone stops ringing)


    Si je portais une foi envers le cinéma français, je serais bien déçu. Mais comme j'ouvre les yeux et que je flaire chaque parcelle de l'univers, je ne peux m'empêcher de l'être. Le prochain film d'Ilan Duran Cohen est un exemple de ce que sont devenues les images dans notre temps. Pas une once de joie, pas un millimètre de gaité dans « Le plaisir de chanter ». Un couple improbable d'agents des services secrets enquête sur une affaire de trafic d'uranium au milieu d'un cours de chant lyrique. Pourquoi pas. Mais enfin Marina Foïs et Laurent Deutsch cherchent en vain un charisme au milieu de leurs déboires amoureux. Les voilà nus, elle a la recherche du spermatozoïde créateur et se battant contre une stérilité toute psychique et lui, ne bandant pas face à elle, concentré sur cette affaire. Et voici Jeanne Balibar, idiote à souhait, qui finira par préférer la musique pop à l'opéra. Le film commence pourtant bien. Un type chante dans le métro, il distribue des prospectus pour le court de chant que donne sa mère. Un homme vient l'interrompre, donne un billet que le chanteur refuse. Il dit en reprenant son argent et en tendant un papier :
     « -Appellez moi quand vous voulez. 
    -Pourquoi ?
    -Pour me dire tout ce que vous n'avez jamais osé dire à votre mère. »
    Psychologie des grands soirs quand tu nous tiens ! Ouh ! Prend ca dans ta face ! On croit que la psychanalyse va couler comme un miel devant nos yeux d'enfants affamés de sucre de sucre.
    Au lieu de quoi : nihilisme débridé, humour qui tombe à plat, bisexualité paresseuse,  l'enquête va aboutir mais on est presque endormis. Et il est seulement dix neuf heures.

    Toutes ces histoires qui saturent l'espace n'ont tout de même rien à voir avec la vie. Elles ne s'approchent pas de ce que le corps ne cesse d'être : une source inépuisable de joie.
    En sortant je pense enfin tomber sur A., la salle de projection est toute proche de son école et ces derniers temps j'ai l'impression que cela va arriver. La croisant un matin dans la rue au début de cette vie là, elle parlait des grands transparents, jolie référence à Breton. Il faut croire que ces divinités là sont devenues réellement transparentes, ou bien que l'on ne sait plus les voir. Je ne sais pas si je viendrais vers elle si je la vois au coin de la rue. Il est juste certain que je suis marié à sa pensée, tout me le prouve chaque jour. Et après la plus ample des réflexions (tard la nuit et dans la grande lumière du matin) je sais d'où vient cette fascination qui ne semble pas avoir de lien avec la réalité. Vous sentez l'odeur du miel ? Si A. n'est pas une création de mon esprit (les jours passés avec elle étaient bien réels), cette fille ressemble, dans  l'esprit si tordu et contaminant sa mémoire, au tout premier émoi érotique de votre narrateur. Les psychologues applaudissent, les lecteurs sentent le sucre irriguer leur œsophage rendu si doux ! Patsy Kensit ! La chanteuse de Eight Wonder, pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ?


    votre commentaire