• (Morrissey / I'm throwing my arms around Paris)


    Au même endroit géographique, un tout autre lieu temporel. Une fille certainement italienne observe la « Vierge à l'enfant avec Saint Anne » dans la grande galerie. Subitement et sans que rien n'en annonce le fracas elle se met à vomir sur le parquet. Cela pourrait très bien être un cauchemar mais enfin la scène a bien lieu, la voilà vomissant au moins deux litres de nourriture accompagnée de bile, c'est un véritable spasme. Je reste persuadé que c'est le tableau lui-même qui fait cet effet, c'est une tornade silencieuse que ne peut qu'atteindre l'intérieur acide du corps. La grand-mère de Jésus porte sa fille sur ses genoux, l'enfant joue avec un agneau symbole de sa mort. Une trinité mariale (l'autre nom du tableau) d'une puissance folle. La jeune fille malade voit une femme en traverser une autre, au-delà du dédoublement, c'est peut être cela qui la fait régurgiter si fort, c'est tout de même une épreuve. Ou bien alors voit-elle le précipice suggéré par Leonard de Vinci aux pieds des personnages ? La distance suprême, presque hautaine, qui est mise en place et qui répond à l'autre gouffre que l'on devine plus loin derrière elles a de quoi donner le vertige si on sait le voir. Alors vont-elles tomber ? Et Jésus ? Et l'agneau ?
    Et la touriste italienne : choc psychologique, révélation esthétique ou gastroentérite ?

    Pourquoi Morrissey est il toujours d'actualité après tout ce temps ? Dejà un long moment que sa carrière en solo est plus importante que celle des Smiths.
    La pochette du nouvel album « Years of refusal » est aussi très inattendue. Le vieux chanteur, Fred Perry en majesté, tient dans ses bras un nouveau né. Est-ce qu'on se dirait bien qu'on vieillirait comme lui ? Est-ce qu'il y a vraiment un autre modèle dans les pop stars vieillissantes ? Ne me parlez pas de Bono aux grandes bottes, c'est le maître absolu des trouillards du spectacle. Robert Smith ? Pas vraiment convaincant depuis une quinzaine d'années niveau musique, pas vraiment en joie sans le maquillage assurément. Drôle en tous cas de le lire raconter qu'au début des années 80, sous un mont de drogues variées, il se surprenait en train de jouer au tennis avec lui-même dans le noir de sa chambre.

    Discussion passionnée hier soir un ami me raconte que lorsqu'il était dans le groupe qui accompagnait Houellebecq sur scène au début des années 2000, un concert avait été organisé au Folie's Pigalle (on passe devant en taxi). Il y avait là une quarantaine d'invités, et parmi eux, Sollers se levant entre chaque morceau et déclamant des poèmes et des citations à tout va.
    On ne le répètera jamais assez, il faut sortir le mardi dans la nuit, même par moins dix degrés. Ne serait-ce que pour vérifier qu'il est possible d'embrasser littéralement Paris.

    votre commentaire
  • (The Dandy Warhols / Mission control)


    Au Louvre cette après midi où il fait froid dans toutes les strates de l'univers. Les gens se foutent de la peinture, c'est écœurant. Groupes puissants de touristes affairés et ennuyés dans la même seconde et qui prennent tout en photo pour éviter de voir les tableaux. Dans la pièce de Watteau tout est calme et posé. Le cerveau aéré a son mot à dire, il suffit de l'écouter. Pierrot impose une grâce sans équivalent dans le musée. Vous préférez l'appeler Gilles, c'est à vous de voir. Pour moi ce sera « L'indifférent », adjectif et nom à la fois judicieux et évident.
    Il a vraiment tout compris Watteau, il est doux sans commune mesure, il va directement au fond du futur dans ce tableau. C'est le résumé parfait d'une existence concentrée. Sui generi en puissance. L'existence ce sera comme cela si vous vous mettez à véritablement réfléchir, si vous vous posez bien en face de ce qui n'est rien d'autre qu'un miroir. Il est tout blanc, seuls les nœuds à ses pieds sont colorés (pour mieux rendre l'uniformité évidente). L'auréole est plus qu'elle même au dessus du visage rond. Il y a bien une intrigue dans le fond (c'est presque un bas fond derrière en dessous), ca n'en finira pas de papoter, de jacasser, de bruiter dans tous les sens et dans toutes les langues. Mille complots auront lieu avec, sans et contre vous. Votre habit sera toujours un peu trop grand ou trop court, vous ne saurez pas vraiment ce que vous faites parmi tous ces phénomènes. Ca sera toujours compliqué, vous ne serez pas à votre place. Beaucoup de théâtre, une vie parmi les comédiens en tous genre (tout le monde est comédien de nos jours, Watteau est passé par là avant vous). Quand on prétend que ce tableau est énigmatique, c'est parce qu'on refuse de le voir. L'être heideggérien vous est obscur ? Il n'y a pas de sens à ce que vous appelez « le tumulte furieux de la modernité » ? Vous n'êtes pas au clair et le sens a filé ? Respirez un peu, détendez vos bras, restez de longues minutes devant ce tableau aussi grand que votre corps qu'il met au défi comme aucun autre. C'est parfait vous y êtes.

     Un plus petit tableau, intitulé pour le coup « L'indifférent » et peint vers 1717. Qu'il fait bon vivre en 1717, que c'est un bon chiffre ! Il dit merci à la vie parce qu'un oiseau a chanté et qu'on est en dix sept cent dix sept. Bonjour à vous, que l'herbe sent bon, que c'est bon de peindre la joie par là. Voilà une belle coiffe bleue, les bras écartés il danse, il saute, il est peut être si léger que la forêt alentour est un mirage. Il regarde fièrement celui qui le peint ou qui l'invente. A nouveau un comédien ? Un insensé en tous cas pour la plupart. Quoi ? L'indifférent ? C'est une blague, vous voulez rire, indifférent à qui, à quoi d'abord ?
    Non, c'est très sérieux.
    En 1738  fut crée l'Ordre des Indifférents, dont les membres se juraient de se soustraire à l'empire de l'amour. C'est Mademoiselle Sallé, de la Comédie Française, qui fonda cette association extravagante. Les membres, des deux sexes, se juraient de combattre l'amour.

    votre commentaire
  • (The Dandy Wharols / Now you love me)


     Les tonnes, les caisses, les cargos de bons sentiments et très peu de justesse sur l'amour. Il se pourrait que je l'aie réinventé. J'aurais été un très grand malade, j'aurais bondi plusieurs fois vers le ciel avec elle. Le monde n'était pas le même. L'univers était changé. Tout était beaucoup plus précis, beaucoup plus lumineux. Un historien de l'avenir prendra pour exemple cette histoire et aura la théorie.
    Mais enfin qu'est ce que cela veut bien pouvoir dire ? Ca n'existe pas des trucs comme ca. Pourquoi elle ? C'est pas banal tout de même. Les gens murmurent
    Encore un type qui justifie que la vie soit possiblement résumable par la psychanalyse.
    Mais je suis passé par là, quatre, cinq ans. Trouver le bon mot pour la bonne image. L'incroyable dose d'intelligence qu'il faut pour passer à travers l'analyse, en sortir. Les rues qui menaient au cabinet et ses détails rugueux. La poignée de main et la jalousie pour le patient qui sort avant vous. Les rêves, plus évidents que jamais, comme des dessins de votre propre sang, qui viennent se poser devant vos yeux. Et la bonne distance, et les secrets à avouer. Peut être qu'après tout je suis l'exemple type d'une analyse manquée. J'adore regarder danser les gens je trouve ca fascinant, faites de moi n'importe quoi comme la dernière fois. Allez je suis dans le panel. Notez bien tous les défauts. L'addiction à la cocaïne, probante comme une tour dans un champ de blé jeune. Et l'indécence des propos parfois, cette habitude à dire des mots outrageants et blessants. Cette solitude enfin, criante et désolante. Douze mille jeunes filles tendent leurs cheveux vers lui et les bras et les seins. Regardez toutes ces jambes plus longues et plus douces les unes que les autres et ce pauvre con qui dit qu'il l'aime et qu'il ne veut pas s'expliquer. On est vraiment dans un très grand délire, il faut trouver un compte sur lequel mettre tout ca. Voilà un type perdu, la trentaine barbue et frêle, amoureux des atomes d'une fille de neuf ans plus jeune que lui. C'est le grand n'importe quoi de l'hiver. C'est le drame le plus complet. On cherche en vain le sens de la manœuvre à l'œuvre dans ce cervelet.

    Et il est vrai que j'aurais agi comme si l'amour était une évidence grâce à elle. J'aurais manqué de discrétion. Mais je voulais crier que c'était résolu. Oui je tenais la preuve de l'univers dans mes bras. Elle précisait pour moi le monde entier. Toutes les étiquettes se décollaient et je lisais chaque secret de chaque recoin de la planète. Comment ne pas crier quand l'évidence est là ? J'admirais toutes les mimiques du personnage, je voyais des nuances, j'en arrivais même à connaître son cœur. J'étais sûr de moi et on riait.

    Grand vent sourd et froid des ombres rampantes, il me faut être seul. Pour rendre plus réel ce qui s'est passé. J'aurais du être silencieux, j'aurais du prendre garde. Et garder la preuve pour moi. Grande allée d'arbres de ce boulevard haï devant ma fenêtre, vous menez vers la mort du cimetière Père Lachaise, vous faites signe mais je n'y prends garde. Il ne se pourra jamais que votre procession m'engage.

    votre commentaire
  •  (The Organ / Fire in the ocean)
     
     Je lis des notes prises hier soir dans le silence de la chambre solitaire.
    « San Giovanni Evangelista, petite place blanche. »
    « Punto del tete (le pont des seins), au dix huitième siècle les prostituées se mettaient aux fenêtres et s'exhibaient devant cet endroit pour que les homosexuels, habitués du lieu, fuient ou changent d'orientation sexuelle. »
    « Le paradis de Tintoret, grande salle du conseil. »
    « Bouches des dénonciations secrètes, ces petites ouvertures au niveau d'un mur dans lesquelles il était possible de raconter méfaits et coups bas pour mettre en place la calomnie. »
    « Itinéraires secrets.»
    « Dernier jour d'octobre 1756. Casanova réussit son évasion. »
    « Quartier Dorso Duro, l'église San Sebastiano, il y a là plus de Veronese que dans le monde entier. »
    Voilà, je peux jeter le papier et son écriture bleue, c'est inscrit ici maintenant.

    La flopée de symptômes qui assaillent le narrateur ferait la joie de mille psychanalystes. Voici cent pleurs, voici une déconvenue. Dans la nuit je hurle au milieu du sommeil. Comme je suis un peu malade cela me donne des excuses pour ne pas sortir durant des jours. J'envois des papiers par mail comme si j'étais un robot et dans un sens j'en suis bien un.
    Volets fermés je regarde des films de Debord. « Critique de la séparation », le boulevard Saint Germain dans les années soixante.
    « Tant de choses que l'on voulait n'ont pas été atteintes, ou partiellement, et pas comme on le croyait. Quelle communication a-t-on désirée ou connue ou seulement simulée ? Quel projet véritable a été perdu ? »
    « Cette incompréhension est partout dans les rencontres quotidiennes. Il faudrait préciser. Mais le temps manque, et l'on n'est pas sûr d'avoir été compris.  Avant d'avoir su faire, ou dire ce qu'il fallait, on s'est déjà éloigné. On a traversé la rue, on est allé outremer, on ne peut se reprendre. »
    Finalement, la tristesse de Debord, cette inverse stylisé et intelligent de la mélancolie, est la seule tristesse, la seule mélancolie acceptable. Il n'est pas question une seule seconde de donner de l'importance aux contingences psychologiques, aux circonstances de la vie quotidienne. Le regard porte plus loin et la voix de Debord dicte. Flopée symptômes déconvenues hurlements au milieu de la nuit sont balayés par la théorie en marche. Musique. Et si la mélodie porte la tragédie, elle n'en est pas moins musique.
    « Nous rencontrons, dans des situations occasionnelles, des gens séparés qui vont au hasard. Leurs émotions divergentes se neutralisent et maintiennent leur solide environnement d'ennui. »
    « Et quelques rencontres seules furent comme des signaux venus d'une vie plus intense qui n'a pas été vraiment trouvée. »
    « Les secteurs d'une ville sont à un certain niveau lisibles. Mais le sens qu'ils ont eu pour nous, personnellement, est intransmissible. Comme toute cette clandestinité de la vie privée sur laquelle on ne possède jamais que des documents dérisoires. »
    « Cette critique générale de la séparation contient évidemment et recourt quelques données particulières de la mémoire. Une peine moins reconnue, la conscience d'une indignité moins explicable. De quelle séparation précise s'agissait-il ? Comme nous avons vécu vite. C'est à ce point de notre histoire irréfléchie que je nous revois. »
    «Un document sur les conditions de la non-communication. Par exemple, je ne parle pas d'elle. Faux visage. Faux rapport. Un personnage réel est séparé de qui l'interprète, ne serait-ce que par le temps passé entre l'évènement et son évocation. Par une distance qui grandira toujours, qui grandit en ce moment. »

    votre commentaire
  • (Britney Spears / Circus)

    Ah non ca ne va pas du tout le style là bon sang. Au magazine il faut reformuler, ne pas trop employer de tournures intelligentes, ah mais c'est comme cela. Par exemple le mot « affres » et bien non ca ne passe pas. Dans le lot j'arrive quand même à faire passer des messages, c'est réduit mais bien à l'image du temps présent. Pauvre cinéma tout de même, pauvres stars de plus en plus commerciales, on assiste à des suicides artistiques tous les quatre matins. Benoît Poelvoorde pète un très gros câble, il demande à se faire enfermer, rentre dans trois bagnoles. C'est le cirque et personne ne porte de masque.


    votre commentaire