• Une villa à Miami et une cabine téléphonique à Paris

    (Oasis / Im outta time)


    Il y a tout juste un an j'ai failli mourir. Comme je m'étais cassé le nez tard dans la nuit en courant furieusement vers une cabine téléphonique, il fallait remettre en place la petite cloison bien entre les yeux. Je suppose que la mort arrive ainsi, qu'elle est très idiote, pas importante, absurde. Donc pas d'évanouissement lors du choc qui me voit rebondir au milieu de la route, les mains sur le visage. Mais une hémorragie des plus impressionnantes en sortant du bloc opératoire. Je vomis du sang, il y a apparemment un problème. Retour immédiat dans la salle blanche et froide, le médecin ne sait pas quoi faire, il regarde le sang couler, c'est très délicat car on est tout près du cerveau bien sûr. Au moment où je me prépare mentalement une extrême onction personnelle (j'essaie de réciter Parménide, l'être est, il ne peut pas se faire qu'il ne soit pas, l'être est, le non-être n'est pas, l'être est...), l'anesthésiste prend peur. Il est vraiment terrifié, il n'a pas trop envie d'avoir à faire à un procès de ma famille qui suivrait le deuxième endormissement qu'il va devoir injecter dans l'instant qui suit. Il me regarde comme s'il pensait déjà à ce que cela va lui coûter. Et la réputation. Ce type n'a pas trente ans et il va mourir devant moi et on mettra tout ca sur mon dos, non pas question, je n'ai pas fini de payer la maison à Miami (il n'y a pas encore de crise, sa maison vaut donc encore cher). Je n'avais cependant pas besoin de voir son visage voilé par une peur-terreur pour me rendre compte que la situation était grave. Le chirurgien a fait une erreur c'est bien évident, il est en train d'appeler à la rescousse un de ses amis en catastrophe (bien qu'il ne prononce pas ce dernier mot). Je n'ai rien à faire dans la salle d'opération à nouveau, je devrais être en train de me réveiller gentiment et de m'apprêter à partir de cette clinique de Neuilly. Comme je ne visualise pas le paragraphe entier de Parménide (ce n'est pas le dernier moment de ma vie finalement, mais je n'y vois là aucun signe alors que c'est flagrant, si j'avais du décéder, le paragraphe de Parménide, dans un souffle, serait venu se poser devant mes yeux), je sursaute et commence à m'en prendre à tout ce qui m'entoure. La table d'opération vacille et les instruments volent (adieu stérilisation). Je hurle que l'on m'endorme, je demande si je vais avoir une transfusion, je crache des vagues de caillots violine sur l'infirmière qui appelle au calme toute la pièce. Je pense que c'est la fin et qu'il faut respirer doucement pour accepter une mort franchement déplacée en ce mois d'octobre qui est mon préféré depuis que je suis enfant. Octobre n'est-il pas ce moment où l'été a calmé son feu trop puissant dans le sud de la France ? N'est-il pas ce tournant vers les automnes doux des années quatre vingt et quatre vingt dix ? Ce mois là n'est-il pas majestueux dans sa neutralité essentielle ? Il ne se passe pas grand-chose en octobre n'est-ce pas ? Le Temps lui-même est couché, il s'allonge et s'étire. Il est vraiment en paix et se fout bien du calendrier humain.
    L'année dernière octobre voit mon beau grand nez de juif s'exploser contre une épaisseur de verre conséquente, geste imbécile et fougueux que je fais dans l'instant pour faire rire A. qui par la suite sera d'une gentillesse absolue, même si ce mois porte aussi en germe une séparation. Octobre voit donc aussi mon corps frôler la disparition.
    Alors que la chimie fait son affaire et que je suis profondément endormi le sang coule toujours, ca coule beaucoup. Je crois que c'est la dernière chose que je crie à l'équipe qui s'affaire autour de mon corps nu. Ca coule beaucoup. Et cela aurait été une bien mauvaise phrase de fin. Pierre Bonnard avait plus de style, couché juste avant la mort et, selon la légende peignant à quelques instants du moment fatal le magnifique tableau « Les amandiers en fleurs », un fond blanc parcellé de tâches fleuries d'amandes en éclosion, disant ces quatre derniers mots : « Un peu plus de blanc par ici. »

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